texte publié dans: Bassin annécien/ Le peintre portraituré


Renaud Jacquier : "Nous sommes tous fils de la lumière"

Ses copains, artistes comme lui, disent qu’il a de la chance d’être chouchouté par Anne et Jean-Claude Lahumière, couple de galeristes attentif à l’art émergent. Deux mois d’exposition personnelle au coeur du Marais à Paris positionnent un artiste, flattent l’ego. Rituel du vernissage, les amis l’ont entouré, ils ont trinqué, échangé des regards complices. Les collectionneurs ont acheté. Renaud pour les intimes, Jacquier Stajnowicz pour la signature, savoure le moment sans exubérance, comme toujours. Marqué au coeur par le poinçon de l’amitié, de la reconnaissance : « Je ne suis pas excité ; à la fois ça me semble un déroulement normal et c’est motivant pour continuer ».
Depuis quatre ans, ses toiles se partagent les murs blancs de la galerie. Elles partent, pour ne plus revenir, vers les foires d’art contemporain de Bâle, Francfort, Cologne et la voisine Fiac de Paris.
Scène de la vie d’une toile. Naissance dans l’atelier sous la charpente de la maison de Chavanod. Un vrai corps à corps consenti, provoqué, sans violence, une fusion entre l’esprit et la matière. Chaque peinture est l’aboutissement aléatoire et temporaire d’un cheminement perpétuel.


Le sentier de la création

Comme tout artiste, Jacquier Stajnowicz a évolué par saccades. Un palier à peine franchi, il gravit le suivant. Il insiste surla notion de passage. Ainsi il baptise son exposition parisienne « Tout seuil a son gardien ». Une étape suivant celle du musée d’Echirolles : « Le lieu est un seuil ».
Dans les années 90, il coule du plâtre sur de l’isorel, projectionne des pigments, scarifie cette chair généreuse ou procède par collage d’objets ou de textile. Pas de chance, son exposition à Bonlieu plaît. « J’avais l’impression de proposer du rêve. Ce n’est pas ce que je recherchais. Je voulais amener les gens vers eux-mêmes ». Comble de l’orgueil créatif ou de l’humilité. S’ensuit une année de doute et de dépression. Au grattage de cette matière épaisse, il gagne une fertilité retrouvée dans l’épure et la couleur unique. Comme s’il lui fallait expier ses délires luxuriants afin d’atteindre l’essentiel, sans cesse menacé. Mise à l’écart radicale de tout signe d’écriture, de traces d’imaginaire, d’émotion. « Avant j’étais orgueilleux, je manipulais avec le fruit de mon imagination ». Il transite un temps en monochromie, se réalise en de vastes étendues de blanc poudré, de noir lumineux.
Il finit par se rabibocher avec la couleur qui l’a vu débuter en des pièces figuratives et surréalistes. Témoin de l’étape précédente, il conserve des pièces où le noir et le blanc s’unissent sans se fondre, sans s’opposer. Aujourd’hui, dit-il, c’est l’offrande minimum du peintre. Sans vergogne il nous abandonne dans un face-à-face avec sa rigoureuse organisation des couleurs, la singularité des formes des tableaux. Renaud Jacquier considère, lui, que sa peinture « est contemplative, perceptible par tous ». Il pousse l’expérimentation jusqu’à casser les châssis, à façonner des formes géométriques variées, réunies en une composition multiple et unique. Surtout pas de cadre, trop réducteur, mais un ensemble captant la lumière, la renvoyant, s’ouvrant vers le monde, le magnétisant.
Dans cet exercice, le peintre se plaît à jouer les menuisiers. Il scie, ajuste, visse les supports de bois : « J’aime ce travail, je pense à mon grand-père menuisier à Meillerie. Il construisait de larges barques qui transportaient les pierres de la carrière vers Genève ». Il prend un plaisir gourmand dans la confection de coffres en contre-plaqué, tapissés de draps usagés. Ils se font écrins pour le transport des toiles. Préparatifs jouissifs, préalables au voyage créatif.
Renaud dessine scrupuleusement le plan de chaque composition sur du papier à petits carreaux. Les feuilles conservées gonflent un épais classeur à anneaux. Chaque châssis est peint à plat, avant d’être assemblé, fixé aux autres et enfin admis à se présenter à la verticalité de l’accrochage mural.
Les titres se glanent au hasard des lectures dans la littérature ou les textes sacrés. « As-tu vu les portiers du pays de l’ombre » (Job) signe sa dernière création prête à partir pour Francfort. Encore la notion de franchissement. Les titres s’allongent parfois sur trois lignes, ce qui provoque des sueurs froides aux concepteurs de catalogues. En hommage à sa mère d’origine polonaise, il signe du nom de ses deux parents.


Rigueur et fantaisie

La vie de Renaud décrit une parallèle avec la rigueur attentive de son travail. Avec Odile Wieder, son épouse, et leur fils Yohan, ils occupent une maison dans un hameau de Chavanod, au bout du bout d’une petite route qui s’arrête là. Leur luxe : le ronronnement du Fier au fond de sa gorge, vrombissement d’un train invisible, les collines boisées ou grasses des labours printaniers échancrées sur le château de Montrottier.
Après la visite de l’atelier, l’hôte invite à une salutation vespérale au jardinet, son deuxième espace de couleurs. Sans barrière ni plate-bande rectiligne, fleurs, arbustes et herbe vivent dans une harmonie imaginée par le jardinier-artiste. Les bourgeons roses des pommiers du Japon prêts à exploser, un rond de violettes, des buissons de lilas en attente de libération de leur mauve, de leur blanc. Pratique artistique à tous les étages : saxo du fils, chant de la mère, peinture du père réfugié sous le toit. La lumière pour tous. Elle est essentielle dans la vie du peintre et dans son oeuvre : « Nous sommes tous fils de la lumière. Elle est le noyau essentiel, pure intelligence vers qui on peut s’abandonner ».
Soleil couchant, un thé pris dans la cuisine. La tête du bouvier bernois se faufile sous l’avant-bras et écoute...

Le petit Renaud est né et a vécu en Centrafrique, où son père originaire du Chablais exerce le métier d’avocat à Bangui jusqu’à l’expulsion par Bokassa en 68. A l’âge de 6 ans, la santé du garçonnet le contraint à demeurer en France. Il effectue sa scolarité dans diverses pensions choisies selon le domicile de parents ou amis susceptibles d’assurer une présence. Il transite à Lyon, où son parrain, le juge François Renaud, assassiné alors qu’il enquêtait sur le milieu lyonnais, l’héberge en fin de semaine : « Un être fascinant et paradoxal ». Il porte son nom en prénom, car le magistrat était un ami de maître Noël Jacquier depuis leurs études de droit.
A 20 ans, Renaud le jeune entre aux Beaux-Arts d’Annecy. Son maître, Bernard Palacio, éduque son regard, impose discipline et rigueur qui influencent ses premiers jets. Suivent cinq années d’errance sur la terre d’Afrique : « Je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je savais ce que je ne voulais pas faire ». Vie sulfureuse d’aventurier, pendant laquelle il ne cesse de dessiner, planquant ses feuilles sous le coude, au fond des sacs de voyage. A 27 ans, retour à Annecy, son point d’ancrage et décision de se jeter dans la peinture. Un marchand de biens lui loue une chambre et une cuisine bon marché, rue Sommeiller à Annecy. Son père lui commande une fresque pour son bureau, des copains lui procurent des boulots. Il rencontre Odile : « Quand on se trouve dans la justesse, la vie nous aide ».
Renaud Jacquier souhaite que l’aide vienne un peu du service public. Vendre dans une galerie le ravit, mais il considère également que « les lieux publics ont une vocation pédagogique et d’accès gratuit à la peinture pour le plus grand nombre ». Se présenter dans les musées ou les espaces d’expos largement ouverts, c’est bon pour la notoriété, ça ne rapporte pas gros mais autorise des expériences. Ce fut le cas à Echirolles où le lieu fut totalement intégré dans la peinture. On ne désespère pas devoir un tel travail à Annecy.


Andrée Montmasson.


Exposition Galerie Lahumière, 17, rue du Parc Royal, 75003 Paris